maison DROUIN Daniel

Mes chers amis, vouss n'ignorez plus rien de la conception, de l'étude et de la construction d'une route. Je voudrais maintenant vous dire quelques mots de la sécurité.

ccdr_07_01Nous venons d'apprendre que la France était championne toutes catégories dans le sport qui consiste, à l'aide d'une arme appelée automobile, à estourbir, occire ou truciderr son prochain ou sa prochaine en conservant une belle et bonne conscience d'amateur chevronné d'exercices mâles, virils et violents. Souvenir des tournois, joutes et combats courtois du Moyen-Age sans doute : la France y excellait.

Les coups au but dans cette discipline sont répertoriés par un corps d'arbitres compétents dont le nom est maréchaussée ; chaque fois qu'un compétiteur met dans le mille, on note comment il s'y est pris et comment il s'était préparé. Les arbitres étant aussi observateurs, statisticiens comptables et informaticiens, on fait connaître, classées par ordre décroissant d'importance, les explications des plus beaux coups, qu'on appelle prosaïquement "causes d'accidents". C'est ainsi qu'en 1987, on a pu lire pour les routes nationales :

  • Excès de vitesse: le conducteur, un fonceur prompt et rapide, préfère arriver 40 ans trop tôt dans l'autre monde que 5 minutes en retard dans celui-ci. Ou encore : il veut impressionner la damoiselle en hennin assise près de lui, ce en quoi il a tort car si elle est impressionnée, c'est qu'elle est morte de peur.

  • Inobservation de priorité : le conducteur est obstiné, opiniâtre, têtu et carrément tête de lard ; il ne laisse personne passer devant lui, même les dames qui, si elles ne sont pas contentes, n'ont qu'à pas compéter.
  • Ethylisme : le conducteur est excité, activé, stimulé par l'ingestion chronique ou aiguë, préméditée ou spontanée de substances provenant de la distillation  de jus d'organes issus d'ovaires de fleurs diverses, ou de matières amylacées ou cellulosiques.
  • Circulation à gauche : par l'effet d'un tropisme ou d'une conviction de nature diverse, le conducteur est irrésistiblement attiré vers la gauche ; notons que cette force sénestre n'a de réel inconvénient que si l'adversaire circule à droite. Ce qu'il faut, c'est se mettre d'accord préalablement.
  • Etat de l'usager : calme et détendu, il sommeille un brin. Ou encore: il est dopé par les réflexions de sa belle-mère située à l'arrière, le félicitant sur sa manière de mener l'automobile.
  • Etat de l'automobile, esquintée, déglinguée, moche, tarte, décrépite, fatiguée, éreintée, ruinifique, défraîchie, fanée, crevée, délabrée, en un mot : pourrie.

Remarquez que dans cette énumération des causes d'accidents il n'est jamais question de l'état de la route. Or, les défauts de la route interviennent dans un tiers des accidents. D'ailleurs, ne dit-on pas "les accidents de la route" et non pas "les accidents de damoiselle, ou de belle-mère, ou de tête de lardise" ?
Laissant à d'autres spécialistes le soin de traiter des radars, détecteurs, tachymètres, prioroscopes, calvatests, plus du gauchisme, des névropathies et de l'art, en douze leçons, de benner une belle-mère sur l'accotement, je me préoccuperai ici de deux horreurs qui traînent sur les routes et qui font le déshonneur de notre profession : les points noirs et les carrefours (déjà vus, mais il faut y revenir).


ccdr_07_02LES POINTS NOIRS. Les points noirs disposés tout le long des belles routes de France, ont été créés pour rompre la monotonie des trajets. L'appellation contrôlée de "point noir" ne s'obtient pas facilement : il faut prouver qu'en 5 ans, 10 personnes y ont valdingué spectaculairement. Aujourd'hui, les usagers se lassent des points noirs, et leur résorption est devenue un leitmotiv utilisé abondamment d'ailleurs par les journaux de l'été qui ne savent trop quoi nous raconter.
Un concours a été lancé sur ce sujet. Les ingénieurs espagnols ont proposé de peindre les points noirs en blanc : mais très vite on a renoncé à cette solution car on s'était aperçu que les Espagnols cherchaient tout un vieux stock de blanc d'Espagne.

ccdr_07_03J'ai personnellement proposé une autre solution, qui a été primée (j'ai gagné un extracteur de points noirs d'acné) : je remplace les points noirs par des virgules noires. Avantage : on s'y arrête moins longtemps ; par ailleurs, en les plaçant très haut, en position d'apostrophes (je ristourne à Bernard Pivot quelques royalties), on désencombre la route : le trafic s'écoule en dessous, sans risque et sans problèmes.

LES CARREFOURS. Je rappelle (vous en souvenez-vous?) qu'en France, il y a 768 185 carrefours. C'est beaucoup trop car beaucoup d'accidents se produisent dans les carrefours.

Il y a quelques mois, j'ai proposé au ministère compétent (pléonasme) un projet destiné à supprimer purement et simplement tous les carrefours. L'idée m'était venue en essayant de répondre à l'une des questions des jeux si culturels d'un magazine de l'été : "Combien de sillons possède un disque de 33 cm dont l'audition dure 27 minutes et 31 secondes ? L'ordinateur de poche de mon beau-frère, qui ne se trompe jamais (l'ordinateur, pas le beauf !), avait répondu : "Un seul sillon!". Et c'est très bien ainsi puisque, s'il y avait plusieurs sillons on ne pourrait pas entendre tout le disque, d'où une perte financière sensible. On pourrait bien sûr imaginer un disque ayant plusieurs sillons avec des bretelles permettant de passer de l'un à l'autre : mais on retrouve le problème des carrefours, avec des emberlificotements sans nombre et pas mal de réclamations en perspective ; Goldmann passant sans prévenir du Chant du Départ au Temps des Cerises ; le Requiem de Mozart se terminant par l'Enterrement de Brassens !

ccdr_07_04A partir de ces réflexions le projet que j'ai présenté remplaçait toutes les chaussées françaises par une seule route à sens unique, partant de St Amand Montrond, se développant en colimaçon en se rapprochant peu à peu des bords de mer, puis revenant à St Amand par le même moyen, inverse et réciproque. Les spirales seraient assez rapprochées pour que soient bien desservis tous les villages, les fermes, les usines, les écoles et mon bureau de tabac.

On m'avait objecté que la France n'étant pas un cercle, mais un hexagone (et encore !) les régions blotties dans les petits coins (Alsace, Finistère, pays basque, comté de Nice) obligeraient à contorsionner pas mal les spirales. J'avais rétorqué qu'il n'était pas difficile d'arrondir les angles : on en a arrondi d'autres avec nos corporatistes, nos râleurs et nos rouspéteurs. Il suffisait de déplacer un peu de terre ici ou là, et de négocier avec les voisins, ce qui aurait procuré du travail aux métreurs, aux terrassiers et aux employés d'ambassades.

Pour faire accepter mon projet, j'avais de plus prévu, pour l'agrément et la sécurité, de revêtir la chaussée d'un enduit gravillonné spécial, et de doter les voitures d'un bras portant un saphir et un pavillon. Des informations utiles auraient été données au conducteur, tandis que des airs bucoliques adaptés au décor et incitant au calme auraient été diffusés en permanence.

ccdr_07_05Le projet était bien au point. Mais il a été repoussé par le ministre, qui avait facilement le tournis, et dont la femme ne pouvait supporter Michaël Jackson et France Gall.

On a donc conservé les carrefours. Il faut vivre avec. Peu à peu ils vont être remplacés par.des croisements dénivelés, avec l'une des voies en souterrain ou l'autre en toboggan. C'est parfait, mais il y en a pour 50 000 ans environ.

 

 

 

 

D'ici là, conduisez et conduisez-vous bien. Souvenez-vous que :

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