ccdr_02_01Le PROFESSEUR Emile BORNE aborde la deuxième partie de son cours.

 

Vous vous souvenez, chers amis, que la dernière fois nous nous sommes quittés sur les infléchissements du tracé en plan, les tranchées et les déviations.

Aujourd'hui, comme promis, j'aborde la question des carrefours et des tunnels.

I - CARREFOURS -

Le mot carrefour vient du latin "quadrifurous", qui signifie "quatre fourches".

ccdr_02_02Si le croisement a six ou huit fourches, on l'appelle sexofour ou octofour. Un croisement peut aussi n'avoir que deux fourches (bifour) c'est le moins dangereux des croisements, et celui qui permet le mieux d'éviter, les erreurs de direction. Il faudrait multiplier les bifours. en.France. L a Belgique en possède beaucoup elle a même quelques monofours.

L e vrai carrefour (4 fourches), vu d'avion, a une ressemblance frappante avec une croix. Chaque nation, chaque région a son type de carréfour.

EN VOICI QUELQUES-UNS...

ccdr_02_03

le carrefour latin, inventé il y a 2 000 ans, est très répandu. Lorsqu'il est monté sur un axe, on peut le faire pivoter de 45° ; il prend alors le nom de carrefour de Saint-André (c'est le saint patron de votre trésorier : fête le 30 novembre ; C.C.P. PARIS n° 24 596 39 B AMICO).

L e carrefour égyptien présente un petit rondibi circulaire qui permet de revenir rapidement et sans marche-arrière si l'on a raté le croisement.

A Malte, les chaussées se rétrécissent dans les carrefours : c'est pour obliger les véhicules à ne passer qu'un par un : en cas d'accident, le nombre de voitures endommagées est ainsi très réduit.

En Lorraine, les carrefours présentent deux petits culs-de-sac d'où l'on peut voir les clochers de Colombey.

Dans certains pays, on a vu naguère fleurir le carrefour gemmé : actuellement, il est plutôt déconsidéré. (Que dites-vous, là, au troisième rang ? Non ! Il ne s'agit pas du carrefour gemmé de Touraine vous devez confondre avec autre chose).

ccdr_02_04Je réponds à une autre question qui m.'est souvent posée : le croisement de la carpe et du lapin n'est pas un carrefour ; ce n'est que le résultat déplorable de galipettes parfaitement condamnables.

Il existe aussi le carrefour à micro-ondes : les chaussées y sont microscopiquement ondulées (Hein? Pourquoi "comme les nourrices" ? J'ai eu, moi, Monsieur, une nourrice qui avait les cheveux parfaitement plats et lisses ; çà ne l'empêchait pas d'avoir beaucoup de lait. Mais nous perdons notre temps).

Ces chaussées ondulées, même microscopiquement, sont dangereuses : le carrefour à micro-ondes est toujours un point chaud (le sexofour à micro-ondes est, lui, tout à fait à proscrire).

On sait qu'un carrefour, lieu de rencontres conviviales plus ou moins mouvementées, c'est important. Et pourtant !... Pourtant .personne n'a jamais compté les carrefours de France, ni dans l'Administration, ni dans les entreprises ! Si bien que j'ai été obligé de les compter moi-même : j'ai pris un vélo, j'ai parcouru toutes les routes, compté tous les croisements que je rencontrais et divisé par deux et quelque chose (vous comprenez pourquoi ? non ? passons... ). J'ai trouvé 768 181,81. Aujourd'hui, le nombre doit être légèrement augmenté, car on a découvert depuis l'opération de comptage quelques nouveaux carrefours : un carrefour du développement et quelques magasins à grande surface.

Ici, je vous propose une petite interrogation écrite : n'aurais-pas pu m'éviter d'aller compter les carrefours sur place, sachant qu'il y a en France 55 310 000 habitants, 3 couleurs au drapeau, 1 300 000 kilomètres de routes dignes de ce nom, 25 millions de véhicules et un seul président de la République ? Ceux qui répondront à cette question autre chose que des insanités pourront assister gratuitement au prochain de mes cours.

Il y a donc 768 185 carrefours en France, donc un tous les 1,700 km ; c'est-à-dire que vous en franchissez chacun 7 300 par an ! Vu le risque, c'est énorme ; c'est là, en effet, que se produisent la majorité des choses, heurts, beignes, carambolages, frottements, caresses, culs-sur-têtes, tête-à-queue et autres ribouldingues.. D'où l'idée d'aménager les carrefours.

Dans les projets d'aménagement, il faut être très inventif.

Je représente ici, à titre d'exemples, quelques types courants d'aménagement.

ccdr_02_05ccdr_02_06ccdr_02_07ccdr_02_08

Vous voyez que les principes d'aménagement sont très différents. Pour construire le dernier (c'est un décafour), on fait souvent appel à des équipes de marine ou de boyscouts, qui s'y retrouvent plus facilement. Les Bolognais ne sont pas mauvais non plus.

Nous reparlerons des carrefours dans le chapitre "sécurité".

II - TUNNELS -

Un tunnel, c'est une sorte de galerie souterraine qu'emprunte la route. (Je pense tout à coup que si les Galeries Lafayette rachètent Carrefour, ou vice versa, je pourrai économiser un chapitre).

"Tunnel" est un mot anglais ; il faut prononcer "teûn'l" ; Oxford fait suivre la dentale t de la voyelle moyenne eû, à laquelle succède une autre dentale, puis un relâchement subit de la langue suivi de deux jets latéraux de salive : Cambridge admet un seul jet. Mais le mot a beau avoir l'air d'être anglais, notre fierté est neuve puisque l'origine est le mot français "tonnelle" (où les filles sont belles, par exemple à Nogent : c'est donc bien français, pas anglais !).

Le nom de l'inventeur du tunnel n'a jamais été retrouvé. C'est un ouvrage de très grande utilité s il met la route à l'abri de la pluie, des coups de soleil, du gel, du vent, et des regards indiscrets ; il empéohe d'être surpris par un orage, avec toit ouvrant bloqué.

ccdr_02_09Il faut donc développer les tunnels. Mais Il faut dire que depuis des années, nous vivons à ce sujet dans une grande aberration.

D'abord, la plupart des tunnels sont en montagne. De ce fait, ils coûtent très cher ; Il faut, en effet, monter tout le matériel de forage à mille ou deux mille mètres d'altitude, travailler là-haut dans le froid, déblayer la neige, percer la montagne qui est toujours rocheuse. Il faut cesser ce gâchis, et se décider à faire les tunnels en plaine. On me dira que j'exagère et on me citera bien sûr le tunnel sous la Manche ! A cela je répondrai qu'il a fallu deux cents ans pour se décider, et que d'ailleurs il n'est plus question maintenant que d'un tout pet1t souterrain (sous-marin). Initialement, ce tunnel devait partir de Gibraltar, passer sous la Sierra Nevada, les Pyrénées, le Massif Central, emprunter un morceau de la ligne Clignancourt-Porte d'Orléans, et déboucher au Nord des Monts d'Ecosse.

ccdr_02_10Deuxio, le mode de construction des tunnels est tout à fait archaïque, artisanal et dangereux, La seule solution valable techniquement et économiquement consisterait à préfabriquer le tunnel en usine et l'amener sur place. Et si l'on veut, contre tout bon sens, continuer à disposer des tunnels en montagne, il faut les mettre en place d'abord, puis les recouvrir ensuite de montagne. Notons toutefois que cette dernière solution est assez coûteuse, car il faut verser des honoraires à l'architecte qui dessine la montagne ; or cette espèce d'arohitecte est toujours rémunéré en volume.

Tertio, les tunnels actuellement fabriquée sont trop longs. On sait que les gouvernements n'ont qu'un désir, parlant des Français : c'est de les sortir du tunnel. Alors, pourquoi s'obstinent-ils à faire des tunnels si longs ? Et que dire lorsque de telles galeries sont courbes, empéchant nos compatriotes de voir le bout du tunnel ? Les Ponts et Chaussées, ayant compris le problème, s'efforcent de réduire la longueur des ouvrages : ils envisagent, par exemple, de placer la sortie avant l'entrée.

Mais il ne faut pas aller trop loin, car on tomberait dans cet excès : faire des tunnels sans entrée ni sortie ! On serait alors dans la cas du gruyère, dont je vous rappelle la dramatique hiatoire.

ccdr_02_12Autrefois, les trous de gruyère étaient faite à la main. C'était long, pénible, et l'on avait parfois du mal à récupérer les gouges utilisées par les perceurs. Un inventeur (oublié lui aussi) eut l'idée de faire faire la pâte dans une usine, les trous dans une autre, et d'envoyer le tout dans un établissement malaxeur. Très vite, on s'aperçut qu'il valait mieux mettre l'usine à faire les trous près de l'usine à faire la pâte plutôt que l'inverse ; mais le plus important, c'est qu'il valait mieux mettre l'établissement malaxeur près de l'usine à faire la pâte plutôt que près de l'usine à faire les trous ; pourquoi ? Eh bien parce que la pâte coûtait plus cher à transporter que les trous (question de densité). Or (c'est ici que le drame commence), Un jour, le conducteur qui transportait les trous s'aperçut qu'au fur et à mesure qu'il avançait son camion s'alourdissait : il comprit qu'il perdait des trous ! Désemparé, dans la crainte de se faire gronder, il s'arrêta, puis recula pour récupérer ses trous perdus. Or, en reculant, il tomba dans un des trous qu'il avait perdu. On ne l'a jamais revu.

Je trouve cette histoire très belle mais très triste ; certains disent qu'il n'y a pas de quoi en faire un fromage ; mais ont-ils bien compris qu'un gruyère sans trous, c'est un repas sans fromage ?

Parfois, les véhicules empruntent deux tunnels parallèles, chacun étant affecté (pourquoi affecté ? Il ne faut pas se blesser pour si peu !) à un sens de circulation. Vous pourriez penser que cette disposition a été adoptée pour des motifs économiques ou pour faciliter le débit. Pfff ! Pas du tout ! C'est que deux équipes ont percé, chacune commençant par un bout, et elles ne ne sont pas rencontrées, soit par erreur, soit par peur de recevoir sur l'occiput un coup de pioche des copains d'en face ! Ca me rappelle le manchon que ma tante portait l'hiver, et qui lui permettait de se caresser en douce le bout des doigts lorsque la doublure était décousue, bernique !

ccdr_02_13Je m'arrête ici. C'est que je veux vous donner un texte trouvé dans le courrier des (un seul) lecteur(s) ; il est de Jacques VIGREUX :

"Le professeur Emile BORNE nous parait, à nous autres, dans le Midi, manquer un peu d'aooent ... Aigu, si vous voyez ce que je veux dire.

CONSTRUIRE des ROUTES ? et où va-t-il les mettre ces routes ? Il n'y a plus de place, c'est complet partout !

Dans les villes ? Mais alors il faudra démolir les maisons. Mais s'il n'y a plus de maisons, il n'y aura plus d'habitants ; et s'il n'y a plus d'habitants, Il n'y aura plus de conducteurs de voitures... à mains qu'ils ne couchent dans leurs voitures, ils ne circuleront pas. Alors pas besoin de routes.

Dans la campagne ? Mais alors où iront les gens des villes avec leurs voitures s'il n'y a plus de campagne pour s'arrêter et regarder passer les voitures ! Alors ?

Ca n'empéche pas quand on a des idées, et nous en avons, de trouver des solutions.

Par ici, pour lutter contre la crise ou développer l'élevage des escargots qui sont des animaux pleins de mérite : Hermaphrodites, inutile d'insister... L'escargot n'a pas besoin de routes grâce à un système original de sustentation qui se rit des obstacles et un système de progression à vitesse réduite qui élimine le risque de collision. De plus, il porte sa maison sur son dos, pas besoin de parkings, de péages et ce qui s'en suit.

Une étude génétique approfondie, qui est en cours dans nos laboratoires, devrait permettre à brève échéance la production en série d'hommes-escargots (pas besoin de femmes, voir ci-dessus).

ccdr_02_14Asseyez-vous là au soleil, la tête à l'ombre et pensez à l'avenir que vous prépare la civilisation du futur, la civilisation de l'homme-escargot se nourrissant de toutes les herbes qui ne manqueront pas de pousser sur les routes quand les voitures n'y circuleront plus."

Je me devais de vous faire connaitre ce texte, bien qu'après avoir persiflé mon nom, il attaque rien de moins que le principe même de mon cours ! Et bien, je ne profiterai même pas de mon droit de réponse. Je souhaite seulement à J.V., comme on dit dans Dallas, de ne jamais avoir besoin d'une piste de jet ou d'une allée de jardin !

CONTINUEZ TOUS A M'ECRIRE. JE PUBLIERAI TOUT (LA PREUVE !).

C'est l'heure. Sortez sans bruit. Moi, je m'en vais me taper, avec un petit Gamay de Touraine, une douzaine d'escargots !

Emile BORNE (alias J. LEVEQUE, dit J.V., qui voulait dire HELAS ! ).