maison DROUIN Daniel

Emile BORNE, le célèbre professeur qui a accepté de nous donner ce cours de route de haut niveau, aborde ici le chapitre très romantique de la constitution des chaussées et de leur calcul.

ccdr_04_01Tous les corps - morts ou vifs - de l'univers sont constitués d'éléments très variés, de toutes natures, de toutes formes, de tous poids, de tous sexes, plus ou moins bigarrés, biscornus ou gluants coeur, foie, gésier, cristaux de soude, bactéries, noyaux, protons et autres diverticules d'utilité certaine ou plus ou moins douteuse.

Souvent, les constituants d'un corps sont cachés aux yeux des curieux par une peau, une enveloppe, une baudruche. C'est heureux pour les intestins par exemple, qui auraient tendance à tomber et traîner par terre / on s'y prendrait les pieds. Mais l'inconvénient d'une peau c'est que, pour savoir de quoi est fait un corps, le plus souvent il faut l'ouvrir souvenez-vous de votre premier ours en peluche, éventré, et de la montre offerte par votre parrain, en pièces détachées à tout jamais.

Pour connaître la constitution d'une route, même difficulté : la peau, c'est la surface sur laquelle vous roulez ; le reste est si caché que l'usager ignare l'ignore ; il croit que la route c'est un long ruban (qui défile, qui défile...), jeté avec désinvolture entre les accotements et les trottoirs. Quelle sottise ! Je vais vous dire comment tout savoir à ce sujet :

Vous procédez comme vous faites lorsque vous vous demandez ce qu'il y a dans le splendide gâteau de Noël à la crème moka : vous vous en taillez une bonne tranche et vous regardez.

ccdr_04_02Dans le gâteau, vous découvrez une couche de nougatine, puis une génoise, une autre de confiture à la fraise, encore une autre au miel ou de chocolat et, tout en haut, le moka.

Dans une tranche de route, de la même façon vous découvrez des couches, qu'on appelle aussi des assises (on ne sait d'ailleurs pas pourquoi, vue qu'une personne assise ce n'est quand même pas une personne couchée).

ccdr_04_03Je précise qu'en général les couches d'une route ne sont pas à base de farine, levure, oeufs, sucre, chocolat ou raisins de Corinthe ; ceci pour éviter qu'elle ne soit attaquée par les musaraignes, mulote, ratons plus ou moins laveurs, ou par des usagers affamés ayant oublié le pique-nique. Une route est faite de cailloux, comme le dit la chanson "Y a des cailloux sur toutes les routes ... "

De la sorte, les mulots s'y cassent les dents, ce qui les rend inoffensifs lorsqu'ils rendent visite à la bibliothèque de votre maison de campagne. Vous avez là un des principaux intérêts de la route, qui ont, à cause de celà, très largement subventionnée par le Ministère de la Culture.

Encore un mot sur la façon de se tailler une tranche de route : il faut arrêter le trafic un bon moment ; sinon, d'une berline vous pourriez faire un coupé, et comme un coupé ne peut pas se reproduire, le développement du parc automobile serait stoppé, avec des conséquences imprévisibles pour l'économie du pays.

Les couches de chaussées ont des noms consacrés par la nomenclature officielle. Inutile donc d'en discuter. Ce sont la couche de-forme, la couche de fondation, la couche de base, la couche de roulement. Parfois, on dispose aussi une couche d'accrochage ; elle permet, en cas de bigornage, de laisser se reposer les usagers qui veulent se remettre de leurs émotions avant de repartir vers de nouvelles aventures.

Chaque couche de chaussée a une épaisseur telle que les voitures ne s'enlisent pas de façon ridicule dans le sol souvent vasouillard qui est dessous. Des techniciens de haut niveau (leurs bureaux sont au quatrième chez COLAS ; ils méritent mieux) calculent les épaisseurs de chaussées avec maestria, règle à calcul, boulier, migraine et ordinateur. Leurs formules - lorsque l'entreprise travaille à l'exportation - utilisent tout l'alphabet grec et les chiffres arabes, ainsi que quelques petits signes discrets connus d'eux seuls. Je ne peux pas en dire plus car il s'agit de secret défense (du consommateur).

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Je précise simplement, pour les plus forts d'entre vous, que d'après ces formules savantes l'épaisseur de chaque couche et l'épaisseur totale sont d'autant plus fortes, primo que le sol naturel est faiblard et chancelant, secundo que les véhicules sont nombreux et lourds.

Sur le poids des véhicules, je dis tout net ce que je pense : à part quelques poids coq et quelques poids welter, les poids lourds en France sont tous trop lourds. De plus, ils s'en vantent, parlant avec fierté de leurs gros cul - ce qui est ironique, trivial et provocateur : vous connaissez beaucoup de gens qui se vantent ainsi de leur fessier rebondi ? Bref ! Pour améliorer la situation routière, il faut diminuer le poids des poids lourds.

Pour ce faire, il existe des tas de solutions. Certaines sont difficiles à faire admettre car elles demandent beaucoup de courage (leur imposer un régime minceur). D'autres peuvent choquer les âmes sensibles (la lévitation ; d'ailleurs, depuis la disparition du Maitre Tarabounzibé, on manque cruellement en France de fakirs compétents). Mais d'autres solutions ont techniquement tout à fait sûres et elles sont immédiatement utilisables. Je vous en présente deux qui ont fait leurs preuves

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Avec ces deux solutions, une seule précaution à prendre : faire un essai préalable pour éviter que les poids lourds ne s'envolent pas : vous encombreriez la voie lactée, où il y a déjà pas mal de choses ... Mais ces solutions - que j'ai fait breveter - ne sont sûrement pas les seules ; indiquez-moi les vôtres : je les publierai.

Pour cette fois, j'ai fini. D'ailleurs je vous sens un peu fatigués. L a suite au prochain numéro.

Jean LEVEQUE