Quand il en eut assez de voir tant de charrettes, Tant de chaises-à-porteur, tant de voiture à bras, Se perdre ou s’abimer ou bien se rompre en miettes, Il décida d’agir. Il s’appelait COLAS,
Un nom bien de chez nous, un home name en somme. Venait-il du Berry, venait-il de la Somme ? Que nous importe au fond ? L’essentiel, voyez-vous, C’est qu’on peut supposer qu’il venait de partout.
La vie de ce héros fut alors si féconde, et si riche en prouesses où le détail abonde Que vous me permettrez, pour ne point vous lasser De la laisser dans l’ombre et de l’outrepasser.
Je le présente ici : son nom est donc COLAS. Ce garçon est sérieux : il vit sans falbalas. Il est jeune c’est vrai, mais aux âmes bien nées La valeur n’attend pas le nombre des années.
Comme il fait ses débuts – on est en 29 - Il est encore pimpant, et son bleu est tout neuf. Le col qui le termine, un peu ecclésiastique Confère au gars COLAS un aspect ascétique.
Vous en doutez peut-être en contemplant le nez, Appendice glorieux, que vous croyez bourré D’alcool dénaturé, de gros rouge ou d’absinthe Comment donc le savoir ? quand un homme se pinte
C’est vraiment sans souci, sans risque de sanction : Personne n’a encore inventé le ballon Et si le taux sanguin dépasse la limite L’homme pourra heureux aller cuver sa cuite.
Sous le nez ont poussé quelques poils très osés Bacchantes enflammantes, faites pour le baiser : Quand il est dans la rue, les bourgeoises s’attardent, Contemplant ces poils-là, bouleversées, hagardes.
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Dans la poche gonflée mûrit un calendot. Ce nombre impressionnant qu’il porte dans le dos Ne représente pas son numéro GM, Non : il a marqué là sa date de baptème.
Contre les vents du Nord, la tête en son sommet Fièrement, crânement, est coiffée d’un béret. Ses pieds sont protégés de toutes salissures Par des bottes Hutchinson qui sont de belle allure.
Dans une main il tient un solide balai Piassava premier choix, vrai balai pour palais, Destiné à chasser les crottes et les bouses Avant que d’étaler le gravillon 8/12
L’autre main de COLAS empoigne un arrosoir Dont le bec se termine en forme de bavoir ; Cette pièce en métal, modèle déposé, S’appelle queue de carpe, et permet d’arroser En un jet large et plat la surface à enduire.
Que contient l’arrosoir ? Je m’en vais vous le dire : C’est un produit nouveau, brillante innovation Mise au point par COLAS, et nommée émulsion. Elle est faite, dit-il, pour moitié de bitume Plus ou moins 5%, comme veut la coutume
COLAS est bien formé ; il est ferme et robuste. Admirez donc ce tronc, contemplez donc ce buste. Si on le nourrit bien, qu’on le veille avec soin Il est fort à parier que notre homme ira loin.

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