1929

UN HOMME NOMMÉ COLAS

un homme 250

Quand il en eut assez de voir tant de charrettes,
Tant de chaises-à-porteur, tant de voiture à bras,
Se perdre ou s’abimer ou bien se rompre en miettes,
Il décida d’agir. Il s’appelait COLAS,

Un nom bien de chez nous, un home name en somme.
Venait-il du Berry, venait-il de la Somme ?
Que nous importe au fond ? L’essentiel, voyez-vous,
C’est qu’on peut supposer qu’il venait de partout.

La vie de ce héros fut alors si féconde,
et si riche en prouesses où le détail abonde
Que vous me permettrez, pour ne point vous lasser
De la laisser dans l’ombre et de l’outrepasser.

Je le présente ici : son nom est donc COLAS.
Ce garçon est sérieux : il vit sans falbalas.
Il est jeune c’est vrai, mais aux âmes bien nées
La valeur n’attend pas le nombre des années.

Comme il fait ses débuts – on est en 29 -
Il est encore pimpant, et son bleu est tout neuf.
Le col qui le termine, un peu ecclésiastique
Confère au gars COLAS un aspect ascétique.

Vous en doutez peut-être en contemplant le nez,
Appendice glorieux, que vous croyez bourré
D’alcool dénaturé, de gros rouge ou d’absinthe
Comment donc le savoir ? quand un homme se pinte

C’est vraiment sans souci, sans risque de sanction :
Personne n’a encore inventé le ballon
Et si le taux sanguin dépasse la limite
L’homme pourra heureux aller cuver sa cuite.

Sous le nez ont poussé quelques poils très osés
Bacchantes enflammantes, faites pour le baiser :
Quand il est dans la rue, les bourgeoises s’attardent,
Contemplant ces poils-là, bouleversées, hagardes.

 

Dans la poche gonflée mûrit un calendot.
Ce nombre impressionnant qu’il porte dans le dos
Ne représente pas son numéro GM,
Non : il a marqué là sa date de baptème.

Contre les vents du Nord, la tête en son sommet
Fièrement, crânement, est coiffée d’un béret.
Ses pieds sont protégés de toutes salissures
Par des bottes Hutchinson qui sont de belle allure.

Dans une main il tient un solide balai
Piassava premier choix, vrai balai pour palais,
Destiné à chasser les crottes et les bouses
Avant que d’étaler le gravillon 8/12

L’autre main de COLAS empoigne un arrosoir
Dont le bec se termine en forme de bavoir ;
Cette pièce en métal, modèle déposé,
S’appelle queue de carpe, et permet d’arroser
En un jet large et plat la surface à enduire.

Que contient l’arrosoir ? Je m’en vais vous le dire :
C’est un produit nouveau, brillante innovation
Mise au point par COLAS, et nommée émulsion.
Elle est faite, dit-il, pour moitié de bitume
Plus ou moins 5%, comme veut la coutume

COLAS est bien formé ; il est ferme et robuste.
Admirez donc ce tronc, contemplez donc ce buste.
Si on le nourrit bien, qu’on le veille avec soin
Il est fort à parier que notre homme ira loin.

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