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COLAS D'ANTAN A LA MARTINIQUE

Il fallait tout de même au Président Georges Mathieu, un sens aigu de l'Entreprise et une belle confiance dans l'avenir, pour envoyer, en 1934, à 7000 km de Paris, en Martinique, mon prédécesseur Jean Rebillet, afin d'y implanter une usine d'émulsion.

La Shell, qui venait tout juste de prendre une participation majoritaire dans la Société, avait dù en confirmer l'intéret en raison de la proximité de ses bitumes de Trinidad. Là, le pétrole imprègne l'atmosphère, et le bitume le sol lui-même c'est à San-Fernando face au delta tout proche de l'Orénoque où, en 1498, Christophe Colomb, à son 3e voyage, avait touché l'Amérique du Sud sans s'y arrêter ni soupçonner la richesse et l'immensité du Continent que l'on peut toujours voir le célèbre PITCH LAKE, ce vaste lac d'asphalte dont le bitume natif, venu des profondeurs du sous-sol, revient toujours au même niveau, malgré toutes les extractions qu'on y fait... De quoi faire rêver les Routiers du monde entier!

Il n'y avait encore à cette date chez Colas, que six usines construites hors-Métropole, dont seulement celle de Dakar était fort éloignée. Celle de Fort-de-France l'était encore deux fois plus, avec un débouché très étroit, sans exportation, mais avec un marché de monopole qui nous assurait de ne pas perdre d'argent.

Jusqu'aux années d'après la Libération, Colas n'a vécu en Martinique que de ce que Jean Rebillet appelait "le barbouillage" des routes. Il devait vendre, au grand maximum, 100 ou 200 tonnes d'émulsion dans l'année, en transporter et répandre la plus grande partie, le tout après avoir peut-être procédé à de menus reprofilages.

Comment, malgré sa forte personnalité, a-t-il pu se contenter d'une si faible activité ? Cela a toujours été une énigme pour moi, et plus encore en raison des années de guerre 1939-1945, d'abord sous Vichy, ensuite avec Londres, où les crédits devaient être des plus réduits sinon nuls. Il évitait d'en parler, et moi de lui poser des questions.

Comment aussi, a-t-il pu,résister pendant tant d'années d'isolement, à cette tonalité particulière de l'existence qu'on ne rencontrait nulle part ailleurs, à la contagion des travers inévitables de ces hommes qui vivaient pour ainsi dire en vase clos, à cette vie où l'irrationnel n'était pas un simple thème littéraire, à cette inaptitude généralisée des personnes qui l'entouraient à envisager les lois habituelles ou à s'attacher à autre chose qu'au présent immédiat ? Sans compter l'influence insidieuse d'un climat certes fort agréable, mais au fil des années lénifiant pour le corps et lassant pour l'esprit, même si quelquefois venaient vous réveiller quelque tremblement de terre ou quelque cyclône, ou, tous les ans, les longues festivités du carnaval.

Car telle était bien l'ambiance de l'île à cette époque. Elle a bien changé depuis, en mode de vie et en mentalité, ne serait-ce que gràce à l'ouverture majeure sur l'extérieur, que lui a permi l'Aérodrome, dés 1950.

Mais tout cela n'avait pas empêché notre premier Directeur de Colas-Antilles, de montrer un grand dynamisme, de devenir un notable, de jouir d'une grande réputation dans l'ile, et d'entretenir les meilleures relations avec les plus hautes Autorités. On le verra par la suite.

Cette suite, ce fut d'abord, en 1946, la départementalisation des Antilles et l'annonce des crédits y afférant. C'est alors que les vieilles cartes de représentation des Industriels du ciment, de l'acier, des canalisations de toute sorte, même de notre propre bitume, trouvèrent brusquement leurs juteuses raisons d'être. Ne racontait-on pas ainsi, que le Représentant de Pont-à-Mousson gagnait une villa sur la Côte d'Azur à chaque arrivée d'un de ses bâteaux chargés de tuyaux ? C'est ce que J. Rebillet, d'un air pincé car il aurait aimé être à leur place, appelait "l'immoralité du capitalisme", lequel, malgré tout, il soutenait lors des élections.

Cette suite, ce fut aussi, qu'un pensa enfin à un vrai réseau routier et à un Aérodrome. Nous allons parler de ce dernier : l'isolement de l'île était évident. De relations avec l'extérieur n'existaient que par le Bananier ou le Paquebot, en 8 ou 10 jours, tous les 2 ou 3 mois, ou par l'Hydravion vers Porto-Rico, toutes les semaines. Ce dernier était en correspondance avec un avion pour New-York. De là, on partait pour Paris en Lockheed 749 Constellation ( ou D6 ou Stratocuiser), le tout en 25 heures de vol plus les escales et au prix qu'on imagine.

C'était le temps où comme pour conjurer le sort on pouvait, sur un panonceau du guichet d'enregistrement, lire "l'heureuse arrivée du Nème vol transatlantique Panam sans accident", le temps où, effectivement, les chutes dans la "patouille" ou' les amerrissages forcés, n'étaient pas si rares, où la nuit, au milieu de l'Atlantique et sur la tête des passagers, le navigateur faisait le point avec les étoiles, où il y avait toujours quelqu'un pour s'alarmer des jets d'étincelles ou des tramées de flammes qui sortaient des moteurs, ou de leurs brusques ralentissements dûs aux champements de régime des compresseurs en montée, le temps où l'on s'exusait d'une escale imprévue à Terre-Neuve en vous remettant un consistant billet vert, le temps où, dans le site désertique et sinistre de Shannon au crépuscule, on ne pouvait échapper au vague à l'âme, avant le grand saut de prés de 6000 km ( en orthodromie ), le temps où, par contre, on vous déroulait le tapis rouge à votre descente sur le "tarmac".

Tout Fort-de-France pour un bateau, dévalait donc vers le quai de la Transat, ou pour remettre son courrier, vers l'hydrobase. Là, le Catalina d'Air-France, cet hydravion amphibie, était à lui seul un spectacle par sa robustesse légendaire, sa lenteur rassurante, le fracas de ses moteurs, à croire qu'on y avait oublié des clés à mollettes, par ses fréquentes difficultés à déjauger à temps en obligeant les vedettes à faire la chasse aux embarcations en infraction sur le plan d'eau d'envol. C'est un de ses frères du Coastal Command qui, le 26 mai 1941, en chasse dans l'Atlantique Nord, après 24 heures de vol non-stop, avait, dans une trouée de nuages, en moins de 10 secondes, repéré enfin le cuirassé allemand Bismarck cherchant à fuir vers Brest, traqué par 42 bâtiments de la Home Fleet et de la Force H, et précipité la mort du colosse.

Mais il était bien insuffisant pour les besoins de l'île. De plus, 1I était venu remplacer le Latécoére 631, après son accident de 1948 un simple phénomène de résonance dans la structure, après rupture d'une ligne de commande des ailerons qui avait endeuillé, et même fait disparaître bien des familles de la Martinique.

Il fallait donc, d'urgence, un "terrain d'aviation". Le marché de l'Aérodrôme du Lamentin-Terav comme on l'appelait dans nos correspondances avec nos Sièges a été négocié de gré à gré en 1947, sur la base d'une Association en participation intégrée moitié/moitié entre "Colas" et les Entreprises Métropolitaines et Coloniales (dénomination qui marquait son temps, reconvertie plus tard en "Compagnie Française d'Entreprise"). Les interlocuteurs étaient d'un coté Pierre Caruel et Jean Rebillet, avec l'aval de leurs Directeurs parisiens André Ventre et Jean Reddon, de l'autre coté, l'Ingénieur en chef Pierre Vasseur.

De gré à gré donc, sans doute pour des raisons d'urgence. Or notre Associé était déja sur place pour la construction de la forme de radoub. Colas était également présente pour des raisons que Jean Rebillet a su présenter comme déterminantes, en plus de sa propre notoriété, de ses relations bien placées, et de sa résolution à enlever l'affaire. En fait, notre Associé possédait ipso-facto, tous les atouts dans son jeu, alors que nous, nous devions plutôt les faire miroiter : Colas en effet, n'avait que des références assez faiblardes dans le genre, en dehors de la maitrîse des enrobés à froid à usages spéciaux, type Asphalticmac ou Colprovia, mais de façon artisanale. Nous avions aussi exécuté des travaux de revêtements d'Aérodromes comme à Coulommiers, mais pour les Allemands. Nous commencions tout juste cette année-là, à fabriquer l'enrobé à chaud à l'échelle industrielle, à l'aide de l'unique poste Barber-Greene en France, en location et auparavant, dés 1943 au Maroc, mais modestement.

Mais Jean Rebillet était là, redoutable commercial. Il m'avait même dit qu'il aurait pu prendre tout simplement, la place de Colas dans la participation avant même toute négociation et récolter à titre personnel, la confortable manne qu'il entrevoyait, même en tenant compte du procès que lui aurait certainement intenté son Président. Eh mieux, il avait imaginé court-circuiter les E.X.C., et sous- traiter tout bonnement l'ensemble à quelque grand des Travaux Publics comme Razel, moyennant une belle commission. Sa réputation le lui aurait peut-être permis, mais il était fondamentalement un homme honnête, respectueux de son Siège, et je l'aurais jugé incapable de se rendre moralement coupable de cette malversation, voire forfaiture, de la même manière que, sous des dehors autoritaires, il savait écouter et rester bienveillant.

Terav allait propulser brusquement sa petite Colas, vers la grosse activité. Le personnel Etam et Cadres serait choisi dans notre vivier de la Métropole (quinze ou vingt), les ouvriers et manoeuvres, parmi les robustes coupeurs de canne et les accortes martiniquaises habiles à coltiner les pierres. Quant au matériel, nous allions nous le procurer de plusieurs façons. D'un côté, par un achat en France, auprés des surplus américains, comme un Poste Maintenance Barber-Greene 40 T/H, un Finisher 879 A, une dizaine de camions G.M.C. D'un autre coté, en achetant aux Etats-Unis, au titre du plan Marshall, des engins neufs, comme les 3 unités de concassage Iowa, 1 ou 2 Motorgraders, 1 répandeuse etnyre, 1 profileur de cordon. .etc. . . enfin, différents engins pris en location à des prix dérisoires, auprès du Parc des Ponts et Chaussées sur place, comme les rouleaux lisses ou les bulls D6 et D7, bien d'autres encore, provenant de Métropole.
Rappelons que le plan Marshall était un programme d'aide économique des Etats-Unis aux Etats d'Europe, mis en place en 1948, dont le principe était de leur faire don de matériels neufs sortant des usines américaines. Son application se faisait par une longue et lourde chaine où intervenaient l'Etat Américain, l'Etat Français, le Constructeur américain, l'Entrepreneur français, les Organismes professionnels des deux pays, l'O.C.D.E. ou plutôt son ancêtre, et bien sur, les Banques des deux pays, de telle sorte qu'en fin de course, Colas-Martinique payait directement l'Industriel américain, avec des dollars achetés en France à une banque française désignée, si bien que Colas ayant payé, était propriétaire, mais c'était l'Etat Français qui s'était enrichi, en empochant les dollars.

Inutile de dire que ces engins tout neufs, me donnèrent du fil à retordre. Ils étaient inconnus; ils arrivaient avec leurs notices d'utilisation en jargon technique U.S.; leurs constructeurs n'avaient aucun représentant en Martinique, et le Siège Colas avait d'autres chats à fouetter que celui de nous aider dans ce domaine aussi nouveau pour eux, qu'il l'était pour nous.
Il en fut de même avec le Maintenance des surplus. L'engin était déja très fatigué car dés son débarquement, il avait dû faire la guerre du Pacifique, d'île en île depuis 1942. Nous avions un bon lot de spare parts, mais quand il en a manqué, cela a été une longue histoire pour obtenir licence d'importation et expédition; même observation pour le Finisher et encore plus pour les Camions G.M.C. qui, malgré sa compétence, allaient être le cauchemar de Jacques DONCKER.

G. Dauzet.

A suivre...

1929

UN HOMME NOMMÉ COLAS

un homme 250

Quand il en eut assez de voir tant de charrettes,
Tant de chaises-à-porteur, tant de voiture à bras,
Se perdre ou s’abimer ou bien se rompre en miettes,
Il décida d’agir. Il s’appelait COLAS,

Un nom bien de chez nous, un home name en somme.
Venait-il du Berry, venait-il de la Somme ?
Que nous importe au fond ? L’essentiel, voyez-vous,
C’est qu’on peut supposer qu’il venait de partout.

La vie de ce héros fut alors si féconde,
et si riche en prouesses où le détail abonde
Que vous me permettrez, pour ne point vous lasser
De la laisser dans l’ombre et de l’outrepasser.

Je le présente ici : son nom est donc COLAS.
Ce garçon est sérieux : il vit sans falbalas.
Il est jeune c’est vrai, mais aux âmes bien nées
La valeur n’attend pas le nombre des années.

Comme il fait ses débuts – on est en 29 -
Il est encore pimpant, et son bleu est tout neuf.
Le col qui le termine, un peu ecclésiastique
Confère au gars COLAS un aspect ascétique.

Vous en doutez peut-être en contemplant le nez,
Appendice glorieux, que vous croyez bourré
D’alcool dénaturé, de gros rouge ou d’absinthe
Comment donc le savoir ? quand un homme se pinte

C’est vraiment sans souci, sans risque de sanction :
Personne n’a encore inventé le ballon
Et si le taux sanguin dépasse la limite
L’homme pourra heureux aller cuver sa cuite.

Sous le nez ont poussé quelques poils très osés
Bacchantes enflammantes, faites pour le baiser :
Quand il est dans la rue, les bourgeoises s’attardent,
Contemplant ces poils-là, bouleversées, hagardes.

 

Dans la poche gonflée mûrit un calendot.
Ce nombre impressionnant qu’il porte dans le dos
Ne représente pas son numéro GM,
Non : il a marqué là sa date de baptème.

Contre les vents du Nord, la tête en son sommet
Fièrement, crânement, est coiffée d’un béret.
Ses pieds sont protégés de toutes salissures
Par des bottes Hutchinson qui sont de belle allure.

Dans une main il tient un solide balai
Piassava premier choix, vrai balai pour palais,
Destiné à chasser les crottes et les bouses
Avant que d’étaler le gravillon 8/12

L’autre main de COLAS empoigne un arrosoir
Dont le bec se termine en forme de bavoir ;
Cette pièce en métal, modèle déposé,
S’appelle queue de carpe, et permet d’arroser
En un jet large et plat la surface à enduire.

Que contient l’arrosoir ? Je m’en vais vous le dire :
C’est un produit nouveau, brillante innovation
Mise au point par COLAS, et nommée émulsion.
Elle est faite, dit-il, pour moitié de bitume
Plus ou moins 5%, comme veut la coutume

COLAS est bien formé ; il est ferme et robuste.
Admirez donc ce tronc, contemplez donc ce buste.
Si on le nourrit bien, qu’on le veille avec soin
Il est fort à parier que notre homme ira loin.

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